C’est peu après minuit que je quitte la moto pour faire le reste du trajet à pied. Il y a trop de boues; j’irais surement plus vites à pied. Au fait, je viens de la faculté. J’admire la vue des collines en face et, un peu à gauche, j’aperçois des ampoules alignées. C’est le nouveau camp de réfugiés congolais. Plus tôt dans la journée une colonne des camions de Nations Unies amène plusieurs autres réfugiés et par hasard j’ai croisé les yeux avec ce jeune garçon. Il doit vraiment avoir mon âge. Il a l’air triste et hyper épuisé. Il supporte son menton sur ses doigts entrecroisés; j’imagine tout ce qu’il vient de faire comme trajet à l’arrière d’un camion sur un banc sans même pouvoir se pencher en arrière pour soulager son dos.
Pendant que je descends la pente vers notre maison avec le camp en vue, je me permets de voyager dans les pensées de ce garçon de mon âge.
J’ai peut être toujours rêvé de venir au Rwanda, mais pas à l’arrière d’un camion. Mon rêve était plutôt de venir étudier l’université ici, en médicine ou pharmacie. Je veux pouvoir guérir des corps et des âmes mourant à cause de la guerre, la pauvreté et tout ce qui vient avec; ou bien même être colonel. Je pensais aussi visiter ce pays qui autrefois avait ses frontières jusqu’à mon village, même beaucoup plus loin selon mon grand-père. Mes parents parlent même bien kinyarwanda, moi c’est beaucoup trop mélanger au swahili.
Je pensais voir Paul KAGAME et Louise MUSHIKIWABO, on parle beaucoup d’eux à la radio. Et puis c’est bizarre quand j’ai vu pour la première fois une photo de KAGAME: Il est si mince! Je le croyais beaucoup plus géant et gros; l’image d’un guerrier, empereur d’un puissant pays d’Afrique central qui, soit disant, fait souffrir le grand Congo. Je prenais pour référence la description de Goliath que le pasteur blanc nous avait donné dans la croisade au marché.
Ce matin, c’est une pluie de bombes et balles qui nous réveille. Avec maman et mes soeurs, nous avons décidé de courir et fouir vers le Rwanda. La route de Goma serait mieux, c’est par là qu’il y a les militaires. Mais maman refuse, il parait qu’ils violent les filles et les gardent comme femmes dans leurs camps et ils prennent aussi tout ce que vous avez comme bien. Et nous qui avons toujours étés pris pour des rwandais, c’est beaucoup plus dangereux vers Goma. Là, alors, on va vers la frontière au Rwanda. C’est dans une brousse mais il n’y a pas de choix, c’est un risque qui vaut la peine.
Arriver au Rwanda, c’était un soulagement après une longue distance de marche sous la pluie, les balles et le soleil. Je voulais surtout que rien n’arrive à maman et à mes soeurs. Là assis dans ce confort du creux de cet arbre, je me suis mis à penser à tonton qui n’a pas voulu laisser ses vaches; à mes cousins, à mes amis et collègues de classe. J’espère bien qu’ils vont tous survivre. Ici on s’occupe bien de nous. Nous avons mangé juste quand on est arrivé. Ils m’ont même donné des vêtements neufs. C’est plus petit pour ma taille, mais il faut faire avec. Ils nous disent alors qu’on ira dans un camp très loin d’ci. Je ne me rappel même pas du nom de l’endroit.
Très tôt le matin je me réveille en premier. Je suis prêt. Je m’assoie au bout du banc, je peux bien voir l’extérieur. C’est de bonnes routes ici sans trous, et ça ne glisse même pas comme la route qui va à Goma.
Ces jeunes rwandais sur la route sont beaux, belles et civilisés. J’ai vu des uns à la plage, c’est la première fois que je vois pour de vrai des gens en maillot de bain. J’avais vu ça dans la vidéo du chanteur américain chez un ami de ma classe. Moi aussi un jour je vais faire ça. J’ai même vu Kigali de loin mais c’est triste qu’on n’ait pas fait un tour! Bon, j’y reviendrais moi-même. Ces jeunes qui jouaient au foot me rappellent le match prévu avec le quartier d’en bas que je vais rater. Quand on est passé par l’université, j’ai vus des jeunes qui avait des sacs à dos, d’autre se promènent deux par deux, d’autres rient beaucoup. C’est peut être ici que j’ai toujours voulu étudier. Je m’imagine avec une belle fille comme celle-là et bien chic, comme ce garçon-là (d’abord, que ce qu’il écoute dans ses écouteurs? A cette heure toutes les radios n’ont que des infos et des annonces ennuyant), en parlant bien français et anglais, avec l’élégance d’une étudiant en médicine.
Ah, je croyais que jusqu’où on va les routes sont si bonne. Là le camion nous secoue trop, je sens une nausée. Heureusement qu’on s’arrête, sinon un seul mètre de plus et j’allais vomir.
Ici c’est mieux qu’à la maison, y a de l’électricité et même une grande tente avec une télé. Il parait que c’est pour suivre les informations la nuit. Je ne sais pas ce que je vais faire toute la journée de demain ou tous les autres jours. Demain je commence par fabriquer un ballon pour faire des dribles.
D’ailleurs quand est-ce qu’on va rentrer à la maison ? Est-ce que je vais pouvoir étudier encore ou aller à l’université au Rwanda? Est-ce que je pourrais aussi me baigner comme ceux-là que j’ai vu à la plage? Ou bien même travailler comme ces blancs qui sont toujours ici? Quand on va rentrer, je vais être Colonel, venir à l’université au Rwanda avec tous mes gardes-du-corps, et aller à la plage beaucoup de fois. Puis je vais être le premier Docteur-Colonel du Congo. Bon, je rêve trop! Mais peut être que mon rêve est valide.
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